Mes chères Consœurs, mes chers Confrères,
Les 3 et 4 octobre derniers se tenait une nouvelle édition de notre Rentrée. Ouverte par l’accueil des nombreuses délégations étrangères (Paris, Bruxelles, Luxembourg, Annecy, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Hauts-de-Seine, Val d’Oise, Liège et Cameroun) et la traditionnelle Conférence Berryer, elle s’est poursuivie le lendemain par une conférence au Palais Eynard sur les sanctions internationales et leur impact sur les principes de la profession d’avocat et a culminé avec le banquet du soir, réunissant 1000 membres et invités ayant relevé le pari de l’élégance.
Je tiens ici à remercier chaleureusement toutes celles et ceux qui ont œuvré assidument à l’organisation de ces événements, en particulier notre secrétariat, le Comité du Jeune Barreau, la Présidente du Concours d’art oratoire Michel Nançoz et le Conseil. Grâce à vous, la fête fut belle et les retrouvailles joyeuses.
À cette occasion festive, j'ai souhaité confier le rôle de maître de cérémonie à l'un de nos membres en lui donnant carte blanche. J’en assume la responsabilité. L’exercice est toujours périlleux et je remercie notre Confrère d’avoir pris le risque de relever ce défi ainsi que pour le temps considérable qu’il y a consacré bénévolement.
La performance a néanmoins déplu à un certain nombre de participants. Des personnes présentes se sont dites choquées, voire blessées, par certains propos perçus comme étant en contradiction avec les valeurs de notre Ordre.
Je l’évoquais lors de mon discours : la mission première de notre Ordre est de défendre la profession d’avocat ; ces avocates et avocats gardiens de l’état de droit. L’état de droit est fondé sur les principes de primauté du droit, de séparation des pouvoirs, de la légalité et de la protection des droits fondamentaux. Ces droits fondamentaux incluent tant le droit à la dignité humaine, l’interdiction de la discrimination que la liberté d’expression. Ces droits sont le socle de notre combat sans qu’aucune hiérarchie ne les distingue.
Alors peut-on rire de tout, de toute les manières, en tous lieux ? Ces questions touchent à la dignité humaine. Elles touchent également à la liberté d’expression. Elles touchent aux limites du droit et celles du ressenti. Elles touchent aussi et avant tout des destins individuels et des destins collectifs et les préoccupations qu’ils expriment sont légitimes. Chacune et chacun a sa place au sein de notre Ordre qui n’est que plus fort de cette diversité.
C’est pour prendre la mesure de ces préoccupations que j’ai souhaité prendre le temps de l’écoute, de la consultation, notamment du Comité du Jeune Barreau, de la Commission des droits humains et de la Commission de l’égalité, et enfin le temps de la réflexion pour m’exprimer par ces lignes.
Je souhaite tout d’abord rappeler qu’une prestation humoristique n’a pas vocation à représenter notre Ordre ni ne saurait s’apparenter à un discours. La parole de notre Ordre, à l’occasion de cette soirée, s’est exprimée par mon intermédiaire et celle de la Première Secrétaire du Jeune Barreau et vous pouvez retrouver ces paroles dans nos discours respectifs disponibles en ligne, ici et ici.
Je souhaite également souligner que c’est bien parce que notre Ordre est divers, par ses générations, par ses genres, par ses origines culturelles et par ses différents horizons, qu’il y a débat et qu’il y a discussion. C’est à saluer et à encourager. Il nous revient ainsi d’être à l’écoute des expériences de nos Consœurs et de nos Confrères confrontés au quotidien à des actes discriminants ou blessants qui donnent lieu à des attentes légitimes de respect. Il nous revient aussi de trouver à concilier les attentes de chacune et chacun et les droits fondamentaux qu’elles reflètent, parfois contradictoires, dans le respect de nos valeurs.
La confraternité est justement l’une de ces valeurs, peut-être même la valeur cardinale de notre Ordre. Sans elle, nous ne serions que des individus pratiquant notre profession solitairement, ce qui est l’antithèse de notre Ordre.
La confraternité implique le respect de nos Consœurs, de nos Confrères, même dans le désaccord ; elle implique la franchise des opinions, l’ouverture au dialogue, le courage de reconnaître que l’on a pu se tromper. La confraternité implique de travailler chaque jour, ensemble, à l’équilibre éternellement précaire des droits fondamentaux et des opinions qui parfois s’opposent.
Les efforts déjà entrepris pour aller aux contacts de nos membres sont nombreux, notamment par le biais des saisines de la Bâtonnière ou de la Première Secrétaire qui sont confidentielles, par le biais des Commissions, notamment de l’égalité et des droits humains et par le biais du Dispositif pour la protection de la personnalité des membres de notre Ordre (lien) qui donne notamment accès à une personne de confiance externe qui peut être saisie confidentiellement et gratuitement. Les derniers rapports d’activités annuels de l’Ordre rappellent l’existence de ces outils et les actions menées par notre Ordre pour assurer le respect de ses valeurs et son engagement pour l’inclusion et la diversité. Je regrette que des Consœurs ou Confrères se soient malgré cela sentis dans l’impossibilité de communiquer leurs préoccupations à l’interne de notre association et c’est l’occasion de rappeler que l’Ordre est à votre écoute.
Je ne peux par ailleurs que déplorer les accusations anonymes faites dans les colonnes d’un journal dont la vocation première est le sensationnalisme. La confraternité implique de privilégier d’abord le dialogue avec et au sein de nos institutions plutôt que de recourir au tribunal médiatique sans aucune tentative de dialogue.
J’entends toutefois les préoccupations de Consœurs et Confrères qui se sont sentis offensés. Je sais que notre Confrère qui avait accepté de relever le défi de nous divertir n’avait nullement l’intention de blesser quiconque et son intervention portait la marque du second degré, de l’impertinence, de la dérision et de l’autodérision. Je ne souhaite pas débattre par réponse dans les médias ou par ces lignes d’un sujet aussi sensible et complexe que celui de savoir si nous pouvons rire de tout ou où se trouve la limite du comportement discriminant. Nous touchons du doigt une difficulté propre à notre époque, à laquelle il n’est pas de réponse simple. Cette question nécessite un dialogue éclairé et continu, enrichi de toutes les perspectives.
Soyez assurés qu’il sera tenu compte des préoccupations exprimées et de mon engagement à poursuivre mes efforts et ceux de notre Ordre pour que chacune et chacun se sente la liberté d’exprimer ses ressentis et ses convictions, que chacune et chacun se sente représenté, entendu et respecté au sein de notre Ordre. Je rappelle à cet égard l’édition spéciale du Sous Toutes Réserves traitant du racisme sous différents aspects, dont la problématique des biais cognitifs inconscients qui n’épargnent pas le barreau (lien), ainsi que les travaux de la Commission des droits humains (lien) et de la Commission de l’égalité (lien).
Ces sujets ne sont jamais des sujets aisés mais c’est bien la force de notre Ordre que de s’y confronter et de travailler ensemble à un dialogue qui enrichit et des actions qui construisent la confraternité qui nous lie.
Je vous prie de croire, chères Consœurs, chers Confrères, à mes sentiments dévoués et confraternels.
Sandrine Giroud,
Bâtonnière