Édito de la Bâtonnière

Publiée le 03.06.2024

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Chères Consœurs, Chers Confrères,

À l’occasion de ma prise de fonction à la tête de notre Ordre, j’évoquais les priorités de mon bâtonnat comme points d’ancrage à une aventure à laquelle je vous invite pour les deux prochaines années. Une aventure en effet tant les temps que nous vivons sont imprévisibles. Les crises mondiales se succèdent. Les relations se crispent. La tension monte.

Au cœur des tempêtes en cours ou à venir, les avocates et les avocats restent plus que jamais des remparts pour le droit et contre l’injustice. Ils conseillent, accompagnent, représentent et défendent. Ils sont des hommes et des femmes aux côtés d’autres hommes et d’autres femmes.

Je m’engage pour ma part à vos côtés, avec notre Conseil de l’Ordre, notre Comité du Jeune barreau et nos douze Commissions. J’ai choisi pour ces deux années de concentrer nos efforts sur quatre principaux objectifs, décrits ci-après.


1.    Défendre les avocates et les avocats et leur mission fondamentale de garants de l’État de droit

Comme le rappellent nos Us & Coutumes, les avocats sont les gardiens de l’État de droit et le dernier rempart contre l’arbitraire. Sans avocat pas d’accès au droit et pas d’accès à la justice.

Je défendrai inconditionnellement notre mission d’avocat, notre indépendance et le secret professionnel, qui est avant tout le secret du justiciable.

À une époque où les avocates et les avocats sont attaqués et leur activité de conseil remise en question, il est plus que jamais essentiel de rappeler leur mission. Les Principes de base relatifs au rôle du barreau, adoptés par tous les États membres de l’ONU, ancrent les devoirs des avocats envers leurs clients. Il s’agit premièrement de conseiller ces derniers quant à leurs droits et obligations juridiques et quant au fonctionnement du système juridique. Deuxièmement, assister les clients par tous les moyens appropriés et prendre les mesures juridiques voulues pour préserver leurs intérêts. Troisièmement, les assister devant les tribunaux ou autorités administratives. Le conseil est donc au cœur de notre mission.

Aussi légitime que soit la lutte contre le blanchiment d’argent ou les violations du droit international menant à des sanctions, les garanties de l’État de droit doivent être respectées, ce qui inclut l’exercice indépendant de leur mission par les avocates et les avocats. Alors qu’on interdit la fourniture de certains services juridiques de conseil dans le cadre des sanctions contre la Russie et qu’on envisage de soumettre les avocats au projet de loi sur la transparence des personnes morales et l’identification des ayants droit économiques, l’Ordre des avocats de Genève sera au rendez-vous de ces combats pour défendre les fondements de notre profession et de notre État de droit.


2.    Faire reconnaître la valeur économique des services juridiques et Genève comme capitale du droit

En sus de son rôle social, le droit est un facteur de croissance économique. Il en va de même de la manière dont il est mis en œuvre. Les services juridiques sont en effet essentiels à l’ensemble des activités sociales qu’ils encadrent mais aussi à la compétitivité économique.

De l’arbitrage de l’Alabama, au CICR, à l’ONU ou l’OMC et les nombreuses organisations internationales et non gouvernementales, Genève joue un rôle majeur dans la promotion du droit comme facteur de paix et de prospérité.

J’ai ainsi pour ambition de faire rayonner Genève comme capitale internationale du droit et de la résolution des litiges, de promouvoir son attractivité et les services juridiques comme facteurs de développement social et de compétitivité économique. Pour cela, je souhaite rassembler et créer des ponts entre les différentes communautés du droit : avocats, juristes d’entreprises, magistrats, milieux académiques et autres professionnels du droit pour développer des synergies et être force de proposition face aux défis à venir, parmi lesquels la concurrence accrue, la digitalisation et la complexification des litiges.

Le Conseil de l’Ordre poursuivra ainsi ses efforts en vue de la création d’un tribunal de commerce et plus largement d’un forum légal international qui se tiendra annuellement.


3.    Promouvoir le respect entre acteurs de la justice : avocats, avocates et magistrats

La confraternité et le respect envers tous les acteurs de la justice sont des valeurs cardinales de notre Ordre.

La confraternité s’exprime notamment par la courtoisie que nous devons nous porter. En tant qu'avocats, nous sommes unis par notre engagement commun envers la justice. Cet engagement ne se limite pas à notre pratique individuelle du droit, mais s'étend également à notre relation avec nos confrères et nos consœurs. La confraternité peut être aussi simple que de prendre le temps d'écouter et de conseiller une jeune avocate ou de partager nos ressources et notre expertise avec un confrère qui en a besoin. Mais, avant tout, il s’agit de maintenir un discours respectueux malgré le caractère combatif de notre métier.

La confraternité s’exprime aussi par la prise de conscience nécessaire de la réalité particulière des avocates. Malgré les progrès réalisés, les femmes restent sous-représentées dans de nombreux domaines du droit et continuent de faire face à des défis uniques dans la progression de leurs carrières. Si les femmes représentent aujourd’hui 42,6% de nos membres, elles ne sont que 29,4% cheffes d’étude alors qu’elles représentent une majorité au niveau de la collaboration (58,8%) et du stage (60,6%). Ce sont donc près de 30% de nos consœurs qui quittent la profession au stade de collaboratrices. Dans le même temps, la magistrature continue de se féminiser avec une majorité de magistrates à hauteur de 65,8% en 2023 contre 56% en 2013. C’est dire si nous devons redoubler d'efforts pour soutenir la promotion des avocates au sein de notre profession. Cela passe par la création d'un environnement de travail inclusif. Cela signifie également encourager la participation active des femmes à tous les niveaux de responsabilité et de prise de décision au sein de notre Ordre, ainsi que dans la communauté juridique dans son ensemble.

Le respect entre acteurs de la justice s’exprime enfin par la bienséance mutuelle que se doivent les avocats et les magistrats dans le but de nouer des relations sereines au service d'une justice de qualité. Les crises récentes et les tensions grandissantes entre avocats et magistrats reflètent l’évolution de leurs missions respectives, les tensions sociales, économiques et organisationnelles qui traversent chacune des professions et, corrélativement, un manque de compréhension de chacun des attentes légitimes envers l’autre. Il en résulte malheureusement des relations davantage conflictuelles alors que la justice de l’avenir doit être davantage participative, collaborative et coconstruite. Il est essentiel de poursuivre le dialogue institutionnel engagé et de créer des espaces de réflexions communes pour faire entendre les préoccupations de notre profession mais aussi pour écouter celles de la magistrature.

La justice est profondément humaine et il revient à chacun de nous de veiller à ce qu’elle le reste en respectant le rôle de chacune et chacun.


4.    Donner à notre Ordre les moyens de ses ambitions

À la veille de ses 130 ans, notre Ordre compte près de 2’200 membres, soit 50% de plus qu’il y a dix ans. À cette croissance réjouissante s’ajoute le dynamisme du Comité du Jeune barreau et des Commissions de l’Ordre qui comptent plus de 200 membres engagés. Autant d’actions, d’initiatives et de projets pour faire vivre nos buts.

La charge de travail en résultant, en particulier pour la fonction de bâtonnier ou bâtonnière ainsi que pour celle de membre du Conseil de l’Ordre, a augmenté en conséquence sans toutefois donner lieu à des ajustements, au risque de limiter l’accès à ces fonctions à un cercle restreint. La charge de notre Secrétariat a également augmenté substantiellement, du fait de la diversité réjouissante de nos activités mais aussi de l’augmentation des procédures ordinales qui nécessitent une organisation proche de celle d’un greffe.

Ces évolutions exigent de repenser l’organisation de notre gouvernance et de notre fonctionnement pour assurer une assise solide à notre Ordre et lui permettre de faire face aux défis à venir avec sérénité et indépendance. Je souhaite ainsi donner à notre Ordre les moyens de ses ambitions en reflétant toute la diversité de notre profession.